Béatrice Maine

Se forcer ou s’efforcer

Si de prime abord on pourrait rapprocher les deux termes, leurs fondements ne prennent pas racine dans le même terreau. Et leurs résultats, bénéfices et conséquences ne sont pas du tout de la même teneur. Voici quelques ressources pour amener de la clarté sur ces notions.

Si de prime abord on pourrait rapprocher les deux termes, leurs fondements ne prennent pas racine dans le même terreau. Et leurs résultats, bénéfices et conséquences ne sont pas du tout de la même teneur. Voici quelques ressources pour amener de la clarté sur ces notions.

 

Une nuance en subtilité

 

Leur consistance, la provenance de leur énergie et leurs appuis sont subtils mais pourtant bien distinct.
Si on cherche dans le dictionnaire les synonymes de « se forcer » on trouve : abuser, accentuer, acculer, assujettir, astreindre, brusquer, contraindre, contrarier, dénaturer, dominer, dompter, faire violence, imposer, violenter, … et j’en passe !
Ceux de « s’efforcer » sont : appliquer, chercher, essayer, mettre un point d’honneur, s’appliquer, tâcher, s’employer, s’évertuer, s’ingénier, tenter …

 

Se forcer : une seconde nature contre nature

 

Tôt dans notre vie nous sommes forcé-e-s. Contraint de faire tout un tas de chose contre notre nature. Nous sommes tellement forcé-e-s que nous avons complètement intégré cette manière de fonctionner. Nous sommes forcé-e-s, et nous nous forçons nous-même sans, la plupart du temps, nous en rendre compte. Une attitude contre nature qui est devenue une seconde nature !

 

se forcer ou s'efforcer
Népal, sur la route, solo-tour du monde à vélo 2005-2008

Qu’est ce qui m’a fait pédaler pendant 3 ans et 27000 km à vélo ?

 

Quand j’étais à bicyclette je me suis très rarement forcée à faire des kilomètres. Les rares fois où cela est arrivé c’était parce que mon intégrité était en danger : intempéries, plus à manger ou à boire ; mauvaises rencontres sur la route, visa qui arrive à échéance et obligée de quitter le pays sous peine de gros problèmes (dans les pays où s’est arrivé pas question de jouer avec cela. Les risques encourus étaient trop importants : au mieux confiscation de tout mon matériel et renvoi en France, au pire passage par la case prison).

Je n’avais aucune pression, aucun engagement avec un sponsor ou qui que ce soit d’autre, aucun objectif de destination à atteindre. Le seul engagement que j’avais était avec moi-même : être alignée sur ce qui vibrait au fond de moi. Mon rythme se référait et était déterminé par mes élans, ma forme physique, mes intentions, mes envies, les rencontres que «je sentais ».

A n’importe quel moment j’aurai pu décider d’arrêter, de prendre un avion et de rentrer en France. De laisser mon vélo et de poursuivre en transports motorisés. Et j’étais claire et sans complexe avec ces idées. Pas questions de me forcer ! Pas question que mon voyage devienne une obligation.
Cela ne veut pas dire que tout a été rose, que je n’ai pas traversé de difficultés ou de découragements passagers. Mais je n’ai jamais eu l’envie de tout plaquer et d’arrêter. Comme je n’ai jamais roulé sous la contrainte d’une part de moi qui imposait sa loi du kilométrage journalier à faire.

 

se forcer ou s'efforcer
Ousbékistan, crevaison-réparation sur la route, solo-tour du monde à vélo 2005-2008

 

Ce qui me faisait enfourcher mon vélo tous les jours où je l’ai fait c’était une impulsion profonde, le goût de rouler, de rencontrer de l’inconnu et des inconnu-e-s, le désir d’embrasser l’inattendu d’une nouvelle journée, la surprise, la magie (et l’âme agit) du voyage, l’ivresse des paysages, le ravissement de mes sens inondés par l’air, le soleil, le vent, les couleurs, les odeurs, les animaux sauvages qui m’indiquaient mon chemin, l’excitation de trouver un nouvel endroit pour passer la nuit safe. C’était aussi le goût de l’effort, de sentir la puissance de mon corps en action, l’exaltation de passer un col, l’enthousiasme d’arriver dans une ville après plusieurs jours de pistes, l’émoi de franchir une frontière, ect…

Après ces efforts, même si la fatigue était parfois intense, c’était la satisfaction qui dominait. Le bon goût de l’effort physique, une sorte d’enivrement, de la fierté aussi. De me sentir pleinement vivante, en chemin vers un meilleur accomplissement de moi-même. Je me sentais un peu plus être debout, entière, dans ma puissance et profondément soutenue par le Vivant et l’invisible autour de moi.
Ces feedbacks nourrissaient mon élan à continuer et chaque jour à recommencer. Mes récompenses à chaque fin de journée validaient la démarche de m’efforcer à faire ronronner mon pédalier.

 

se forcer ou s'effroce
Mongolie, désert de Gobi, camping sauvage, solo-tour du monde à vélo, 2005-2008

La polarisation : conséquence de quand je me force

 

Quand je me force, je donne plus de valeur à la part de moi qui dit « si on ne se pousse pas un peu aux fesses on arrive à rien », « tu dois …….. il faut……… tu n’as pas le choix ….. ». Cette voix qui parle fort musèle, écrase les autres parts qui disent « pfff ….pas envie, suis fatiguée, pas maintenant…. »

Si, après s’être forcé-e le mental (se) raconte qu’il est content de lui, que l’objectif est atteint, qu’il s’autocongratule. Les autres parts, qui n’ont pas été entendues dans leurs besoins vont alors, bien souvent se manifester et exiger « réparation » et compensation. Cela peut s’exprimer par l’envie de manger n’importe quoi et en trop grand quantité, boire de l’alcool, dépenser de l’argent, se laisser complètement aller pendant plusieurs jours. Les oppressés du matin deviennent les oppresseurs du soir.

Dans ce genre de fonctionne chacune leurs tours, ces parts exercent leur « dictature ». C’est très polarisé. Pas du tout inclusif. Elles prennent le pouvoir tour à tour et dans des excès. Et c’est ainsi qu’on se retrouve à avancer, créer, entreprendre à coup de démesure dans un sens puis dans l’autre. Cycle infernal qui conduit à l’épuisement. Et qui par ailleurs, n’est pas la meilleure boussole pour poser des action justes, alignées et connectées au flow.

 

Instaurer le dialogue entre les différentes parts de soi

 

Pour cesser de se forcer et tendre vers des mises en actions plus respectueuses de son écologie interne il convient :
– De développer son écoute à ses différentes sous-personnalités pour les entendre vraiment et s’y référer pour choisir
– D’entrer dans un dialogue sincère avec les différentes voix en soi (entendre leurs besoins, leurs arguments, leurs intentions, les envies du moment, les pourquoi de leur envies)
– De trouver les meilleurs conciliations et ajustements en pleine conscience et pleine présence à ce qui m’habite sur le moment et en relation avec les élans qui viennent du cœur.

 

Par exemple, je suis fatiguée, je ne suis pas dans l’humeur de travailler alors que j’ai plein de dossiers en court. Une part de moi veut avancer, veut aller au bout de de l’écriture des articles que j’ai dans la tête pour ne plus avoir à y revenir, doit faire tel administratif qui s’accumule. Une autre part de moi dit « pfffffff …….. ah non là me mettre devant l’ordi vraiment pas envie.». Avant je n’aurai même pas négocié avec moi-même, j’aurai directement sauté derrière mon bureau pour réaliser ces tâches, quitte à me coincer le dos et me rendre ronchonchon pour la journée !

 

Aujourd’hui, je prends le temps de sentir, d’écouter et de faire dialoguer. Ces conciliabules débouchent sur une entente. Par exemple : aller dehors, dans le jardin, dessiner, écrire, danser, lire la matinée, et travailler 1h ou 2 l’après-midi (dans mon bureau ou dans le canapé au coin du feu). Je remarque que dans la plupart des cas je suis gagnante sur tous les tableaux : je me repose et répond à mon besoin de créativité, de prendre l’air, de faire autre chose ET je suis hyper efficace dans mon heure de travail parce que je suis pleinement disponible et focus.

 

Dans ce cas-là, je vais m’efforcer de mener à bien un ou deux tâches. A l’écoute et en lien avec les différentes parts de moi, je peux fais preuve de courage (qui vient du cœur), d’intérêt et d’enthousiasme (dont l’étymologie vient de « être inspirée-e par Dieu, faire alliance avec »), pour m’efforcer de remplir ma mission et de prendre soin de mon entreprise et de mes clients.

 

S’efforcer est un dialogue entre plusieurs parts de soi
Se forcer est une soumission aux exigences d’une part de soi

 

Dans l’entreprise de sa vie et la vie de son entreprise

 

 

Il en est de même pour toute la vie de mon entreprise : je ne me force pas. Cependant, je m’efforce de cultiver ma posture quotidiennement, de nourrir ma vision, de pister des boucles mentales négatives qui me plombent, qui envoient à l’Univers des messages dissonants et qui ferment le champ des possibles, de mettre au travail des croyances limitantes qui seraient des freins, de me maintenir dans une spirale vertueuse, de me faire accompagner pour dépasser des blocages…. Je ne force rien. Je laisse venir. Je permets que « ça » vienne.

Dans le fait de s’efforcer il y a un élan, une impulsion initiale qui ne vient pas de quelque chose de dure, de crispé, d’autoritaire comme « je dois…. Il faut…. Je n’ai pas le choix… J’ai peur que ceci arrive donc il faut que je fasse cela …». C’est beaucoup plus ouvert, plus inclusif, plus en relation avec les mondes en moi et autour de moi.

Je ne force pas une action en exerçant une pression sur une autre part de moi, je n’insiste pas à l’excès quand je perçois des résistances, je ne fais pas preuve d’opiniâtreté ou de persévérance abusive.

 

« Quand je m’efforce je me renforce
Quand je me force je perds mes forces » Isabelle Padovani

 

La limite est parfois bien tenue. Je me laisse, de temps à autre, duper par celle en moi qui « veut ». Elle sait avoir un fort pouvoir de persuasion, un argumentaire sans faille (extrapolant par exemple des risques ou conséquences pour ma « survie », nécessitant d’agir de façon impérieuse et urgente). Elle peut être aussi sournoise et très ingénieuse me rendant aveugle et sourde aux autres voix ! Faut dire qu’elle a été, à certains moments de ma vie, bien présente, avec une capacité à mener tout son petit monde à la baguette pour servir son dessein !

Depuis, je l’ai un peu démasquée et je tombe moins souvent dans ses ornières. Si mon élan interne me pousse, je suis (suivre), je nourris, je soutiens. S’il n’est pas là, je me lâche la grappe et au besoin j’écoute et rassure celle en moi qui flippe et juge d’autant de « laisser-aller », de confiance « aveugle » (selon elle) dans le processus, de farniente, de douceur et d’écoute de moi-m’aime.

Quelques questions pour mener l’enquête :

 

Quand je me force, qu’est-ce que j’écoute en moi ? Qui en moi prend le pouvoir et impose sa loi ?
Quand je m’efforce, quelle est l’impulse initiale qui me fait faire ce que je fais ? Quel est le procéder qui va m’encourager à l’action ? Quels vont être mes points d’appuis et mes ressources ?
Quand je fais un choix, pose un oui ou un non, qu’est-ce que j’ai écouté en moi ?

 

 

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2 réponses

  1. Et quelle justesse dans le temps ! je me posais exactement cette question ce matin !
    Merci Béatrice pour ce témoignage qui vient me toucher juste au bon endroit.
    MERCI ! MERCI !
    Belle journée à tous.

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