Ci-dessous un extrait du livre de Sylvain Tesson « La panthère des neiges »
Une belle illustration d’un biais cognitif auquel les enfants tibétains dont ils parlent échappent …
« Ce jour-là les trois enfants vont me rejoindre mené par Gumpa le plus petit et le plus démoniaque. Du fond du vallon ils avaient repéré ma cache à 500 m de distance
À 8 ans, ce môme avait la notion de la liberté, de l’autonomie et des responsabilités, la morve au nez le sourire en coin, un poêle comme seconde mère et un troupeau de géants à charge.
Il craignait les panthères, mais portait un petit poignard à la ceinture et ce serait défendu en cas d’attaque.
Il ne regardait jamais d’écran et peut-être leur grâce était-elle proportionnelle à l’absence de haut débit ?
Vincent Munier montra aux enfants le tirage papier d’une photo qu’il avait prise une année auparavant.
Au premier plan, un faucon, couleur de cuir, poster sur un rocher de lichen. En arrière, légèrement à gauche virgule derrière le contour du calcaire, invisible à un regard non prévenu, apparaissait les yeux d’une panthère fixant le photographe.
Munier avait réglé ses focales sur les plumes de l’oiseau sans même soupçonner que la panthère l’observait. Ce n’est qu’en étudiant ses photos, deux mois plus tard, qu’il s’était aperçu de sa présence.
Quand il m’avait montré la photo, je n’avais rien distingué d’autre que l’oiseau et il avait fallu que mon ami me pointa du doigt la panthère pour que je perçois l’existence de ce que mon regard n’aurait jamais détecté de lui-même, car il ne cherchait pas à saisir autre chose qu’une présence immédiate.
Une fois localisée, la bête me frappait à chaque fois que je voyais l’image.
L’insoupçonnable était devenu l’évidence.
Cette photo recelait ses enseignements.
– Dans la nature nous sommes regardés.
– D’autre part, nos yeux vont toujours vers le plus simple, confirme ce que nous savons déjà.
– L’enfant, moins conditionné que l’adulte, saisit les mystères des arrière-plans et des présences repliées.
Nos petits amis tibétains ne se firent pas abuser. Leurs doigts se pointèrent immédiatement sur elle. « Saâ*! » Hurlaient ils.
Non que leur vie montagnarde leur eût affûté le regard mais leur œil d’enfant ne se laissait pas conduire vers la certitude du donné.
Ils exploraient les périphéries du réel. »
Selon Daniel Kahnman notre cerveau est doté de 2 systèmes :
– Le système 1 qui va au plus rapide, plus connu, moins énergivore et moins chronophage. Il est efficace. Il nous permet de gagner un temps précieux. De prendre des décisions rapidement. De faire de nombreuses tâches sans y penser. Il a plein davantage. Mais sa rapidité d’exécution, son efficacité nous font passer à côté d’observation précieuses parfois. De prise de décision ou de jugement inopportun. Celui auquel Tesson a été soumis en regardant pour la 1ere fois la photo qui lui a fait passer à côté de la panthère. Comme il le dit très bien « son regard ne cherchais qu’une présence immédiate »
– Le système 2 : c’est lui qui fait douter le système 1. C’est lui qui cherche en périphérie et qui ne se contente pas de ce qui est « sous son nez ». D’une photo, de nos raisonnements, des choix possibles à notre disposition, des solutions, des visions, des intuitions, des habitudes …. Ces inconvénients : il demande du temps, de la patience, du silence, un temps d’arrêt. Ou comme l’a vécu Sylvain Tesson avec Vincent Munier, de l’affût, pour regarder et voir vraiment ce qui là …. Mais qui le plus souvent est invisible aux regards trop pressés, trop agités, trop en attente d’un résultat, …
Prochaine formation sur les Biais Cognitifs et le Système 1 et 2, en présentiel, les 11 et 12 mars 2023.
Infos : https://www.beatricemaine.com/ateliers/biais-cognitifs/
*c’est ainsi que la panthère des neiges est appelée
Image : Vincent Munier